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Drug Stories
22 août 2012

Chroniques de la fin d'un monde - CHAPITRE 3

Chroniques de la fin d'un monde - Chapitre 3

Chroniques BlogDiane

 

 

10 juin / Diana

 

  J'ai perdu mon journal hier, j'ai du le laisser derrière moi. J'ai trouvé ce cahier, il est bien, avec une couverture en plastique. C'était le cahier de devoirs d'une petite fille. Marion. J'ai vu son corps dans le jardin, à coté de celui de – je présume – ses parents. J'ai arraché les pages déjà utilisées et maintenant je peux écrire.

  Je n'ai pas le courage de recommencer l'histoire depuis le début. Peut-être plus tard.

  C'est une belle maison dans laquelle je suis. Ils devaient être bien dedans. Le jardin est grand. Mais à présent, ce n'est plus un jardin, c'est juste un terrain.

  Je n'aimais pas la maison dans laquelle j'avais trouvé refuge auparavant mais elle m'offrait l'illusion de la sécurité avec son grand portail en fer et ses murailles de grillage masquées par des pins.

  J'ai passé six jours là-bas. J'avais du trainer les cadavres dehors. Je ne sais pas comment j'ai pu faire ça. J'aurais du les enterrer mais ça, je n'ai pas pu.

 

  Ma survie n'a aucun but. Pas plus que celle d'un animal mort de soif dans un désert hostile. Vivre pour vivre. Par instinct. Je vais finir par abandonner si la situation ne change pas rapidement. Je ne vois pas d'autre alternative.

 

  Mais hier il s'est passé quelque chose.

  Pendant la nuit, j'ai rencontré un autre survivant. Le premier depuis une semaine.

  Je me tenais recroquevillée dans un coin du salon, toute seule dans cette grande maison vide. J'écoutais avec horreur la tempête de sable noir rugir dehors comme chaque nuit depuis le début des événements. Ça commence toujours à la même heure, vers huit heures et ça s'arrête avec le lever du soleil. Les journées sont grises et les nuits plus noires que la plus noire des encres de Chine. Le vent s'abattait sur les murs de la maison et j'attendais là, dans un recoin obscur, le retour pathétique du soleil quand j'ai entendu du bruit dans l'entrée. J'ai cru que c'était les rafales qui avaient fait tomber quelque chose sur le perron. J'ai retenu mon souffle. Il ne s'est rien passé pendant cinq minutes puis j'ai entendu des bruits de pas. Ils se dirigeaient vers moi, vers le salon. Mon cœur s'est emballé, je me suis sentie devenir toute blanche. Un homme est entré dans la pièce. Il trainait un sac en toile derrière lui, c'est la première chose que j'ai vue. J'avais du mal à le voir dans la pénombre. Il a fait le tour de la pièce et je n'ai pas dit un mot. Bizarrement, je n'avais qu'une envie, c'était qu'il s'en aille. J'étais terrorisée. A ce moment là, il a lancé, de l'autre bout de la pièce:

- Il y a quelqu'un.

  Ce n'était pas une question.Malgré moi, j'ai répondu:

- Oui, là.

  Je me suis levée et il s'est avancé. J'ai alors vu un détail qui m'avait échappé et qui m'a glacé le sang: il portait un masque à gaz. Le tuyau pendait de son visage comme une mandibule inerte et les yeux de mouches du masque lui donnaient un air grotesque. Je me suis figée, je ne pouvais plus rien dire.

- Bonjour, comment tu t'appelles ?

  Sa voix était enfantine et contrastait désagréablement avec sa stature. Je ne sais pas si c'était le masque qui déformait sa voix mais je ne crois pas. C'était comme si un enfant parlait dans le corps d'un adulte.

- Diana.

-  Bonjour Diana. Il y a des bonbons ici ?

  Avec le recul, ça me paraît amusant cette question. Mais sur le coup ça m'a mise mal à l'aise. Je lui ai répondu que non et je me suis tue. J'étais paralysée, je ne savais ni quoi dire ni quoi faire. Il a posé son sac par terre et a soupiré. Il continuait à me parler comme si de rien n'était. Il avait l'air à l'aise même si je ne pouvais pas voir son visage sous son masque à gaz. Ça se voyait à sa façon d'être.

- Je ne peux pas enlever mon masque à gaz sinon je pourrais mourir. Toi, je sais pas comment tu fais. Tu devrais peut-être en trouver un. J'en ai pas d'autre sinon je t'en aurai prêté un. Je dis bien prêté parce que ça coute cher. Je crois.

  J'ai bredouillé que c'était pas grave. Il a levé les épaules. J’avais du mal à le regarder tant la vision de cet homme avec un masque à gaz, au beau milieu de ce salon me donnait la nausée.

- Ok. Tu as vu les gens morts ? Ils sont tous morts, je crois.

  Je n'ai rien dit.

- Je vais à la cuisine, il y a peut-être des sucreries. J'adore ça !

  Il a ri à gorge déployée puis s'est dirigé tranquillement vers la cuisine. Je ne savais pas quoi faire. Je n'ai jamais eu aussi peur de quelqu'un de toute ma vie. Je commençais à délirer, à me dire que j'avais rêvé, qu'il n'y avait eu personne dans le salon. A ce moment là, j'ai eu un vertige. Tout s'est mis à tourner et j'ai du m'asseoir sur le sol du salon. J'ai réprimé une envie de vomir puis je me suis recroquevillée.

  Quelques instants après, il est revenu. Il m'a dit qu'il n'avait rien trouvé. Il paraissait déçu. Il m'a demandé si je ne savais pas cuisiner des choses sucrées. Des crêpes, des gâteaux, ce genre de choses. Je lui ai répondu que je n'avais pas le cœur à ça mais il n'a pas eu l'air de comprendre.

  Il s'est approché et c'est là que j'ai vu l'écusson sur sa veste. Ça disait « Institut Jackson ». Un établissement pour retardés mentaux à une dizaine de kilomètres de là.

  Plutôt que de m'effrayer, ça m'a plutôt rassurée. Ça justifiait son attitude étrange, sa voix, son envie de bonbons. Je me suis détendue tout en restant méfiante. Je lui ai demandé:

- Tu viens de Jackson ?

- Oui. Toi aussi ?

- Non mais je connais. C'est joli là bas.

- Plus maintenant.

- Pourquoi ?

- A cause des morts. Et des arbres qui brillent.

- Tout le monde est mort là bas ?

- Non, moi je suis là. Grâce à mon masque à gaz.

- Tu l'as trouvé où ce masque à gaz ?

  D'un coup, il s'est mis en colère.

- Ce masque à gaz, c'est à moi, ok ? Si t'y touches, je te frappe !

  Il a pointé un doigt menaçant sur moi. Mon sang s'est glacé devant une telle démonstration de violence. J'ai reculé lentement, de quelques pas.

- Non, non, c'est le tien, je n'en veux pas. Garde le. En plus, j'en ai même pas besoin. Regarde, j'en ai pas.

  Il s'est calmé en une fraction de seconde et il s'est mis à chouiner. Tout doucement. Je l'entendais marmonner «Je veux des bonbons, je veux des bonbons.. ». Ça devenait surréaliste. J'avais tellement envie qu'il s'en aille mais il n'avait pas vraiment l'air décidé. J'ai continué à lui parler pour gagner du temps. Je tremblais comme une feuille. Je sentais qu'il allait finir par faire une connerie, me trucider ou me violer.

- Qu'est ce que tu as dans ton sac ?

  Il a immédiatement arrêté de pleurer et m'a fixé du regard.

- Dans mon sac ?

- Oui. Qu'est ce que tu trimballes comme ça ?

- Des morceaux.

- Des morceaux ?

- Oui, pour ma collec'.

- Ah.. des morceaux de...

  Je n'ai pas pu dire un mot de plus avant qu'il ne soulève son sac et n'en déverse le contenu sur la table du salon. Des bras, des jambes, des oreilles, des doigts, tous recouverts de sang coagulé.

   Il avait l'air content de me montrer ça. Toutes ces horreurs qu'il avait du découper sur des cadavres... J'ai réprimé un cri, je me suis levée d'un bond et j'ai couru vers la porte d'entrée. Je ne crois pas qu'il m'a suivi mais je n'en suis pas sûre. Je l'ai ouverte d'un coup de pied et j'ai filé dans la nuit au beau milieu de la tempête. La poudre noire me rentrait dans le nez, dans la bouche, sous les vêtements. Je devais garder les yeux fermés et courir au hasard. J'ai trébuché sur quelque chose et je me suis étalée de tout mon long. Je me suis relevée et j'ai couru en dissimulant mes yeux derrière mon pull. Du sang coulait sur ma joue gauche. J'ai récupéré la route et j'ai détalé une bonne partie de la nuit, sans but, fouettée par le vent noir et sec en me dirigeant comme je pouvais. Tout hurlait autour de moi, je n'y voyais pas à plus de dix mètres. Je n'avais jamais affronté la nuit depuis le début de tout ça. C'était comme arriver en enfer et commencer à creuser pour voir ce qu'il pouvait y avoir de pire dans les sous-sols.

  Je ne sais pas combien de temps a passé mais j'ai fini par me raisonner et chercher une maison sur le bord de la route. J'en ai essayé une mais il y avait des cadavres dedans et je n'ai pas eu la force. J'ai essayé la voisine. C'est celle dans laquelle j'écris.

  J'ai dormi.

  J'ai rêvé.

  De Mona. De la piscine le samedi matin. De conduire ma voiture. Du monde avant, de tout ce qui est perdu à jamais et de tout ce qui faisait que la vie avait un sens.

 

  J'ai trouvé un paquet de cigarettes dans un tiroir. Il y en avait six dedans. 

 

 

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