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Drug Stories
24 septembre 2012

Chroniques de la fin d'un monde - CHAPITRE 12

Chroniques Blog

DIANE

 

 

16 juin / Diana

 

On a préparé les vélos aujourd'hui. Demain, on s'en va. Avec Emmanuel à mes cotés, ce sera plus facile.

J'ai essayé de parler de sa blessure au dos mais il a évité le sujet en disant que ce n'était rien. Ça se voit qu'il a mal mais il fait tout pour le cacher.

 

On a refait un peu de roller dans l'après-midi mais le cœur n'y était plus vraiment. On ne pense qu'à demain et à la route qui nous attend.

 

 17 juin / Diana

 

Au réveil, ce matin, j'ai fait le tour de la maison mais il n'y avait pas trace d'Emmanuel. J'ai crié son nom une ou deux fois mais je n'ai pas eu de réponse. La nuit tombe et il n'est toujours pas revenu. Je ne sais pas où il est parti. Les vélos sont toujours là.

Je me suis assise dans le canapé après mon réveil et j'ai fini le vin de la veille en essayant de ne penser à rien de particulier. J'étais fatiguée. Lasse.

J'ai pensé à Mona. A l'endroit où je l'avais connue. Une salle un peu sombre, mal décorée et puante de l'assistance sociale. Elle attendait devant mon bureau et je l'observais par la petite fenêtre en haut de la porte. Elle ne pouvait pas me voir. C'était la énième petite fille que je voyais avec son lot de problèmes, de sévices, d'histoires cachées et dégueulasses et à cette époque là j'étais tellement blasée par le métier que je gérais ces enfants comme des dossiers. Ce qui, en soit, n'est pas vraiment réprimandable. Je veux dire, il est clair que si on ne fait pas abstraction du coté humain ne serait-ce qu'un petit peu, si on se borne à tout prendre dans la gueule, on ne dure pas longtemps là-dedans. Alors, j'enchainais les dossiers en essayant de faire le job du mieux que je pouvais mais je ne m'engageais plus émotionnellement. Van trouvait ça ignoble et il disait que c'était un syndrome de notre société inhumaine. Je crois que c'était encore une de ces conneries que je gobais si facilement à l'époque et qui entretenait ma culpabilité envers tout et rien. Était-ce moi qui avait violée tel petit garçon ? Était-ce moi qui me piquait à l'héroïne pendant ma grossesse ? Non, merci. Donc, je bossais tous les jours pour aider les gens à sortir de la merde dans laquelle ils s'étaient foutus tous seuls, embarquant au passage leurs gosses. Alors, libre à moi de me protéger de toute leur merde, non ? Oui, Van, à la fin, j'étais sourde à toute cette souffrance. Et j'en remercie Dieu.

Contrairement à tous les autres enfants que j'ai pu accueillir dans mon bureau, Mona n'avait pas ce regard abattu plein de passivité ou cette attitude agressive, défiante des enfants abusés. Elle n'avait pas cette lueur de folie, de fatigue chronique, de douleur latente prête à exploser. Mona avait l'air heureuse. Son visage était illuminé par je ne sais quoi mais ça m'a fait l'effet d'un électrochoc et toutes les barrières que j'avais posées à cette époque entre mes dossiers et moi m'ont alors paru idiotes. Quand j'ai ouvert la porte et que je lui ai dit d'entrer, je savais que je n'allais pas être Diane Hofman, assistante mais Diane Hofman, être humain pathétiquement normale, pleine de défauts et de qualités et que j'allais lui parler normalement, comme à quelqu'un avec qui on se sent libre d'être soi-même. Cette gamine avait treize ans mais elle m'inspirait bien plus que tous les adultes autour de moi.

Le cas Mona était pour le moins atypique. Elle avait vécu avec son père depuis ses deux ans, âge auquel sa mère était morte lors d'un accident de voiture. Son père tenait une petite charcuterie de quartier dont le nom devint célèbre après que le fait divers l'impliquant aie défrayé la chronique. M. Lannes était ce que l'on appelle dans le milieu du banditisme, un liquidateur. Il s'occupait des cadavres gênants. Il les saignait, les découpait de la tête aux pieds et les empaquetait dans des caisses de vin en bois qu'il se procurait par son beau-frère, courtier en grands crus. D'ailleurs, ce fameux beau-frère ne s'est-il jamais demandé ce que pouvait bien faire un charcutier de tant de caisses de vin? Il en fallait à peu prés quinze par corps et selon les tabloïds 18 morts ont été retrouvés dans les caisses de beaujolais de M. Lannes. Comment un brave charcutier de quartier a-t-il fini dans ce milieu, l'histoire ne le disait pas.

Toujours est-il qu'un jour, plusieurs types de la bande pour laquelle il travaillait sont tombés. Un parmi eux a tout déballé et révélé l'emplacement des cadavres. La police est allée creuser et a été assez étonnée par cette manière toute particulière de se débarrasser des corps. La piste de celui qui faisait ça les a intéressés et ils sont remontés jusqu'au charcutier.

Il a pris huit ans ferme. Même s'il n'a jamais tué personne.

Et Mona s'est retrouvée dans les couloirs de la DDASS. Puis devant mon bureau.

A l'époque, je n'avais rien dans ma vie sinon un chat idiot qui ne m'a jamais montré la moindre marque d'affection. Je voulais prendre un chien et me débarrasser de ce chat quand Mona est rentrée dans ma vie.

Son dossier a eu des complications à cause des premières familles d'accueil dans lesquelles elle s'est retrouvée, pas toutes très nettes. Du coup, elle a souvent fini devant moi, avec son air malicieux, malgré sa situation plus que merdique.

Je ne sais pas si les détails sont racontables, je veux dire ce que je ressentais à l'époque, ce que j'ai vécu au travers de Mona, l'espoir que j'ai vu en elle et que je ne voyais pas ailleurs. Tous ces trucs qui, si je les dis, vont sonner cul-cul. Je ne suis pas écrivain, après tout. J'écris par défaut. Par nécessité aussi. Jamais on ne m'avait appris à l'école qu'écrire pouvait être vital. Être un geste physique, douloureux et apaisant au final. Comme une bonne grosse séance de sport. Je suis sûre que si les sportifs n'écrivent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont stupides mais c'est parce qu'ils n'en ont pas besoin.

 

La tempête commence dehors. Comme tous les soirs. Une sorte de routine noire s'est peu à peu installée. Une chose malsaine et dangereuse mais régulière et rassurante comme le passage des saisons. La tempête est un rituel, toujours à la même heure, à peu prés, toujours la même. Je n'ai toujours pas vu de secours, ni entendu aucune nouvelle du reste du monde. Je ne sais pas ce qui se passe, j'ai mal au ventre toute la journée et mon psoriasis empire au niveau du cou.

Emmanuel est parti apparemment, il n'a pas reparu de la journée. Il est dehors ou dans une autre maison. Je suis seule maintenant. Et la tempête est là.

 

Il me manque. Je m'inquiète pour lui.

 

18 juin / Diane / 11 h 30

 

J'ai cru voir Emmanuel par la fenêtre ce matin. Je ne suis pas sure mais il me semble avoir reconnu son manteau noir de loin. Une sorte de brume épaisse s'est installée cette nuit et j'ai juste vu une silhouette.

Je repense souvent au cinglé de Jackson, j'espère vraiment éviter son chemin et celui de types comme ça.

Emmanuel était plutôt bizarre dans son genre mais je ne crois pas qu'il m'aurait fait du mal. Dieu seul sait pourquoi il est parti. Je me sens plus seule que jamais.

J'ai sorti une boite de foie gras des placards de la cuisine mais ça n'a pas le même goût que d'habitude. C'est fade. Ça me fait remonter des souvenirs de Noël. Pas tous agréables.

 

Je crois que demain je vais partir seule en direction de Nyon. Je préférerai partir en voiture qu'en vélo mais plus rien ne fonctionne. J'ai déjà lu ça dans des livres, des bombes éléctro-magnétiques ou je sais pas trop quoi. Ça crame tous les composants électroniques. Je pense que c'est ce qui a du tomber je ne sais pas trop où, juste avant la première tempête.

Il faut que je trouve d'autres personnes, je ne peux pas rester ici plus longtemps, je vais devenir dingue. Je commence à parler toute seule et à avoir des idées noires. Tous ces gens morts autour de moi, j'ai l'impression de les entendre la nuit, je n'arrive plus à dormir. Je suis au bord de la crise, je le sens. Je ne vais pas très bien, j'ai besoin qu'on m'aide, qu'on me parle, qu'on me fasse sentir en sécurité. J'ai attendu toute la journée qu'il revienne.

 

14 h 00

J'ai commencé un Dickens qui trainait dans la bibliothèque. Je n'aime pas. La brume ne tombe pas, elle semble s'agglutiner autour de la maison. Les vitres sont couvertes de buée collante. J'espère qu'Emmanuel est à l'abri et pas perdu dans ce brouillard blanchâtre.

Je vais commencer un livre qui s'appelle « Crime de soleil et d'ennui », la couverture est rigolote. Mais je n'ai pas vraiment le cœur à lire, à vrai dire.

 

17 h 00

La brume est tombée, d'un seul coup, en l'espace de même pas une minute. On aurait dit que quelqu'un l'aspirait par le sol. Ce qui m'est alors apparu m'a donné la chair de poule. Tous les arbres du jardin et prés de la route sont morts. Toutes leurs feuilles sont tombées et leur écorce pend sur leurs troncs. On se croirait en plein hiver alors qu'on est en juin. Je ne sais pas ce qui se passe encore mais ce n'était pas de la brume ce matin.

J'ai peur de mourir. Putain, j'ai peur, il faut que je me barre de là.

 

18 h 30

Il y a les vélos dans le garage. Ils m'attendent là, sans rien dire. Demain je me tire de là et je trouve des gens.

 

20 h 00

J'ai encore cru voir quelqu'un dans le jardin, au milieu de la tempête. C'était un homme, peut-être Emmanuel, je sais pas, il faisait noir. Il errait là, sans but au milieu des bourrasques de ce foutu sable noir de merde. Je ne sais pas ce qu'il veut mais j'ai fermé toutes les portes à clef et je me suis cachée sous le lit, à l'étage.

J'ai pris « Crime de soleil et d'ennui » avec moi. C'est l'histoire la plus bizarre que j'ai jamais lue.

 

20 h 30

Emmanuel est revenu. Il a tapé à la porte comme un dingue et après dix minutes d'hésitation, je suis sortie de sous le lit et je suis allée ouvrir, transie de peur. Il s'est écroulé sur le sol de la cuisine, à demi inconscient. Il était couvert de sable noir.

Je l'ai trainé tant bien que mal dans le salon et j'en ai profité pour regarder ce qu'il avait dans le dos. J'ai failli tourner de l'œil en voyant ça. Il a un truc qui lui pousse dans le haut du dos, en plein sur la colonne vertébrale. Une sorte de plante vitreuse. C'est plein de sang. J'ai nettoyé ça comme j'ai pu mais je ne peux pas toucher ce truc là.

Il est en vie mais il n'a pas l'air bien. Je l'ai mis dans un lit, couché sur le ventre.

Je veux me réveiller de ce cauchemar, s'il vous plait. Je veux me réveiller chez moi et oublier toutes ces choses.

 

 

 

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