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Drug Stories
29 septembre 2012

Chroniques de la fin d'un monde - CHAPITRE 15

Chroniques Blog

DIANE

 

 

18 juin / Emmanuel

 

Diana, (ou Diane ?) j' ai trouvé ton journal prés du lit. Merci de t'être occupée de moi. J'espère que tu ne m'en voudras pas mais j'ai lu ce que tu avais écrit. Je me permets de rajouter ma touche. Je n'arrive plus à parler, ma bouche est pâteuse et ma gorge me brûle horriblement.

Et il y a les voix. Dans ma tête. J'ai du partir l'autre jour parce qu'elles me disaient de partir. Elles m'ont dit quoi faire. Je crois que j'ai fait une chose horrible pour elles mais je ne pouvais pas faire autrement. Je ne pouvais pas lutter, elles m'ont dit quoi faire et je l'ai fait.

Je suis parti sur la route et j'ai marché un bon bout de temps. Je ne savais pas où j'allais mais elles savaient. Puis au bout d'un moment, j'ai tourné sur un petit chemin de terre recouvert de sable noir. J'ai marché encore très longtemps jusqu'à arriver à un petit étang abandonné au bord d'un champ. Il y avait leur machine dans l'eau. Comme un grand cylindre blanc de plus de dix mètres de haut avec un drôle de signe peint en noir au sommet. Une sorte de lettre chinoise. Elles m'ont fait aller dans l'eau boueuse et je suis resté devant cette machine, le nez levé vers le ciel. Les voix ont hurlé dans ma tête et j'ai failli m'évanouir. J'ai du faire le tour et ouvrir une sorte de panneau à l'arrière Il y avait un gros bouton noir. Il était bloqué. J'ai poussé dessus de toutes mes forces et il s'est enclenché. Il y a eu un bruit strident et une sorte de fumée blanche est sortie du haut de la machine.

Les voix m'ont fait courir jusqu'à la route et après, elles sont parties.

La suite est plutôt floue. Il y a eu la brume et j'ai marché des heures et des heures. La brume semblait vivante, épaisse, à couper au couteau. Je crois que c'est moi qui ai amené la brume. C'est ce qu'elles m'ont fait faire.

Ensuite, j'ai retrouvé la maison. Je ne sais pas par quel hasard. Et je suis là. Dans mon dos, comme tu as du le voir, il y a une chose. Je ne sais pas ce que c'est mais je crois que je vais mourir. Mais ce n'est pas grave, je veux mourir maintenant. Je crois que je les ai aidées à faire une chose horrible. Tout va mourir bientôt. Tout va mourir. Et nous aussi. Désolé.

 

18 juin / Diana

 

Emmanuel, j'ai répondu à ton mot dans ton sommeil. Je n'avais la force ni de te le dire en face, ni de te l'écrire. Qui sait ce que deviennent les mots murmurés à l'oreille d'une personne qui erre dans le monde des rêves ?

Quant au fait de mourir, c'est une chose à laquelle je me prépare tout doucement. Je commence à la voir comme une solution parmi tant d'autres. Est-ce si morbide ?

J'ai préparé mon vélo et j'ai trouvé une sorte de remorque en bois pour transporter des petits objets. Je vais le mettre dedans et essayer de le transporter jusqu'à Nyon. Il n'y a que 45 kilomètres et la route est plutôt plate, je crois. Je devrais y arriver. Je partirai demain, à l'aurore.

 

 

Mona me manque. Son absence redevient insupportable. Des fois, je me dis que je devrais en finir et aller la rejoindre. Elle doit flotter quelque part dans un endroit chaud et paisible, recevant dix fois là-haut ce qu'elle a donné en ce monde, ici bas. Si tous les hommes avaient l'âme de Mona, le monde serait un endroit magnifique. Son éternité sera douce et pleine de joie.

Je n'ai connu le bonheur qu'une fois dans ma vie. Après l'adoption, les courts mois ou elle a vécu avec moi. Elle remplissait tellement ma tête et mon corps que plus rien n'avait prise sur moi, rien ne pouvait entamer la tranquillité d'esprit que j'avais trouvée. Ma tête était vide et mon corps était plein.

Si je dois mourir, j'aurai la consolation d'aller la retrouver.

 

20 juin / Diana

 

05 h 45

Le vélo est prêt. Emmanuel est dans la remorque, je l'ai installé du mieux que j'ai pu. Il respire encore mais son état semble empirer. Je n'ose plus regarder l'excroissance dans son dos, sa vue m'est insupportable. J'ai versé de la Bétadine dessus mais le sang coule toujours.

Dehors, les arbres ont fini de crever. Leur tronc est noirâtre et plusieurs sont tombés pendant la nuit. L'herbe commence à sécher, aussi. Il y a une odeur de poisson crevé dans l'air. Je ne sais pas ce qui se passe, mon dieu, je n'ai aucune idée de ce qui est en train de se passer.

 

 

9 h 30

J'ai à peine fait cinq kilomètres, Emmanuel pèse lourd dans la remorque, j'ai toutes les peines du monde à le tirer avec le vélo. Je n'y arriverai jamais avant la tempête.

La route est jonchée de cadavres d'animaux et j'ai croisé une dizaine de voitures dans les fossés. Avec des morts à l'intérieur. Des familles entières. Certains avaient des trucs translucides qui leur poussaient dessus, comme Emmanuel.

Les maisons sont mortes. Pas un bruit, pas un survivant. Rien que la mort partout. Les arbres sont à l'agonie, les champs sont marrons et l'odeur de pourriture est partout. Toute la végétation est en train de crever. J'ai traversé ce paysage d'apocalypse en brisant le silence malsain qui y régnait.

J'ai croisé des chemins de terre qui partaient de la route principale et j'ai eu l'envie d'aller vérifier si la machine dont parlait Emmanuel était là, enfouie dans un étang malodorant mais je n'ai pas le temps. La fièvre l'a peut-être fait délirer.

Je dois y retourner, pédaler jusqu'à tomber à bout de forces. Je dois rejoindre Nyon et trouver un hôpital.

 

12 h 00

J'ai mis plus d'une heure à grimper cette maudite côte. Je n'en peux plus. Emmanuel respire de plus en plus faiblement. J'ai cette pensée horrible que si il mourait, je pourrais y arriver avant la nuit. Mais j'essaie de la chasser de mon esprit.

Je n'avance pas. Il va falloir dormir sur la route. La campagne est vide ici, pas une maison alentour. Il faut que je continue à avancer mais je n'ai ni le moral, ni le physique.

Les champs sont morts, ils puent la charogne. Quelques rares arbres tiennent encore debout, le tronc maculé d'un humus noirâtre.

J'ai croisé une voiture sur le bord de la route. L'homme à l'intérieur tenait encore le volant d'un air sérieux mais du sang séché s'échappait de ses narines et de ses oreilles.

J'ai mal partout. Emmanuel semble peser de plus en plus lourd.

 

15 h 00

Ça fait deux heures que je suis arrêtée sur ce bas coté. J'ai pleuré tout ce temps. J'ai hurlé sur Emmanuel pour qu'il se réveille mais je le sens en train de partir. Il faudrait que je fasse vite mais je n'en peux plus. Je suis épuisée, j'en ai marre. J'hésite à le laisser, là, sur le bord de la route et à repartir. Il va mourir de toute façon. Il me retarde, il m'empêche d'avancer. Je le connais à peine. Et qui me dit qu'il y a encore un hôpital en service à Nyon ? Et qu'ils pourront faire quelque chose pour lui ? Si tout le monde est mort là bas, à quoi ça sert de lui infliger ce voyage ridicule ?

Je sais. Je sais. Je sais.

Je ne peux pas le laisser là mais Dieu m'est témoin que c'est ce que j'ai failli faire.

 

17 h 00

J'ai roulé deux heures avec Emmanuel. J'ai fait cinq kilomètres de plus. Je n'y arriverai jamais. Le vélo est une antiquité, je n'avance pas. Je l'ai descendu de la remorque et je l'ai laissé, bien installé, dans un nid d'herbe séchée, au bord de la route. Il est visible si quelqu'un passait par là. Il pourrait le prendre avec lui mais moi, je ne peux plus. Si je le tire avec moi sur le vélo, il n'y aura pas un mort mais deux.

Il respire de plus en plus faiblement, il va mourir de toute façon

Je vais rejoindre Nyon et si je trouve des survivants, j'irai le rechercher. Mais pour l'instant, je n'ai pas d'autre choix que de le laisser là.

Qu'on me jette la première pierre.

 

19 h 00

J'approche de Nyon. Tout est mort. Personne en vue. J'irai brûler en enfer pour ce que j'ai fait. Je le sais. J'irai passer l'éternité du côté des gens médiocres, mauvais, peureux, petits. Je ne mérite pas de finir aux côtés de Mona dans la mort, n'est-ce pas ?

Elle doit me regarder de là haut et elle doit pleurer pour moi, pour ce que j'ai fait. Emmanuel va se faire recouvrir par la tempête, seul, agonisant. Dans la solitude de la mort qui s'approche. Je suis une putain de salope égoïste.

Les alentours de Nyon sont recouverts de poudre noire et le silence est épouvantable. La tempête va arriver, je dois m'abriter.

 

23 h 50

Je suis dans une petite maison de banlieue. Cinq morts dans le salon. La tempête fait rage dehors. J'atteindrai le centre ville demain.

J'ai cru voir Emmanuel dehors. Il avait les yeux pleins de rage et il me cherchait. Son excroissance palpitait dans la nuit, lui ordonnant de me trouver et de m'arracher les yeux pour ce que j'avais fait. Il criait de tristesse et de haine. Il criait pour ce monde mort ou les gens comme moi perdaient tout ce qui leur restait d'humanité et abandonnaient des mourants pour sauver leur petite peau minable.

Je n'arrête pas de penser à lui. Son image me hante, étendu là, dans l'herbe. Je regrette tellement ce que j'ai fait. Je suis une merde, une sombre merde sans âme.

 

 

 

 

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Commentaires
D
Je me suis enfilé tous les chapitres d'un coup sur le coup d'un lien FB laissé par un ami qui, il me semble, a laissé un comm précédemment. Bref, voilà une bonne littérature à suspens au concept original. Je t'encourage à poursuivre (et vite) pour la suite. Magne !!!
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