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Drug Stories
5 septembre 2012

Chroniques de la fin d'un monde - CHAPITRE 6

Chroniques de la fin d'un monde - CHAPITRE 6

 

 

Chroniques BlogDIANE

 

 

11 juin / Diana

 

Il n'y a pas un bruit dehors. Tout juste un peu de vent dans les arbres. Le ciel est gris comme quand un orage se prépare. J'ai recouvert les corps de la famille avec des couvertures mais je les vois encore de la fenêtre de la cuisine. Ils dorment paisiblement sous leurs duvets de camping bon marché. C'est le seul suaire que j'ai pu leur offrir.

L'électricité n'est toujours pas revenue et j'ai l'impression qu'elle n'est pas là de revenir. Je flippe de revoir l'autre cinglé avec ses bouts de gens dans son sac. Je ne crois pas qu'il m'ait suivi mais je ne suis pas tranquille. Je vais rester ici un moment, bien cachée. Il y a des boites et des soupes déshydratées à ne plus savoir quoi en faire dans la cuisine. Bien que sans eau chaude, les soupes déshydratées...

J'ai mal au ventre toute la journée, j'ai pris des trucs dans l'armoire à pharmacie de la salle de bain mais ça ne passe pas. Je suis tendue comme un élastique prêt à craquer. Mes boyaux sont tordus par le stress. Ça me le faisait tout le temps quand j'étais petite. Aussi, mon psoriasis disparu depuis des années commence à revenir au niveau de mon cou et un peu sur le visage, sous les oreilles. Tous les signes de la panique, de l'angoisse et des nuits sans sommeil. Je n'attends qu'une chose, c'est que des secours arrivent. Des pompiers, des militaires, des flics, des ambulances... mais je n'ai pas vu l'ombre d'un uniforme depuis que ça a commencé. Que dois-je en déduire ?

La zone est sans doute sous quarantaine à cause de cette poudre noire. Mais des militaires avec des masques à gaz, ce serait possible, non ? Mais alors, qu'est ce qu'ils font ?

Je n'arrive pas à me dire que tout le monde est mort, c'est impossible. Il doit rester des gens du gouvernement, de l'état qui sont en train d'organiser un plan de secours.

Il faut juste que j'attende, patiemment, sans me ronger les sangs inutilement. Il faut que j'écrive tous les jours, même si je n'ai rien à dire. C'est vital ou bien je vais commencer à parler toute seule, à débloquer, à péter un câble et à faire des choses... inappropriées.

 

J'ai beaucoup pensé à Van ces derniers jours. J'ai repassé dans ma tête nombre de discussions que l'on a eu il n'y a encore pas si longtemps. Les choses ont bien changé en peu de temps et mon point de vue sur de nombreux sujets est certainement en train d'évoluer.

Par exemple, Van disait toujours : « Je ne veux pas faire partie de ce système, je ne veux faire partie d'aucun système ». Et j'ai toujours approuvé en me disant qu'un système est une chose qui vous écrase et vous empêche de vous développer individuellement comme vous le voulez. Une sorte de machine invisible, extérieure à vous et au monde qui impose son rythme, ses valeurs.

Mais maintenant, je me demande : « C'est quoi un système ? Notre système ? ». Et la réponse est que le système est tout ce qui n'existe plus aujourd'hui pour moi. Pas forcément que les gens. Mais ce que font les gens, ce que disent les gens, ce que réalisent les gens, ce qu'ils vous proposent de faire sans que vous en ayez eu l'idée seul. Le système c'est la possibilité d'avoir une chaise en bois alors que je suis incapable de la fabriquer, d'avoir une montre alors que je ne sais absolument pas comment ça marche, d'allumer une lampe et de trouver ça normal alors que 90% des gens sont incapables d'expliquer ce qui se passe sur le chemin de l'interrupteur à l'ampoule. Le système était là bien avant moi et sera là bien après moi. J'en faisais partie et Van en faisait partie aussi. Nous avions cet héritage et on voulait s'en débarrasser. Comme si s'affirmer dans son individualité avait une importance quelconque. Je peux vous le dire aujourd'hui, vivre seule, sans les autres, sans ce système ou cette communauté – appelez ça comme vous voudrez – n'a strictement aucun intérêt.

Même Van me paraît petit maintenant. Vaniteux. S'il est en vie, je me demande ce qu'il est en train de se dire. Ses aspirations anarchistes vont elles se réaliser par la force des choses ? Le voilà débarrassé de tous ces idiots. Moi, je parie qu'ils vont bien lui manquer.

Ce n'est peut être pas grand chose et pas très important mais j'aurai au moins réalisé que je ne suis pas comme lui.

Van avait peur de tout, des vaccins, d'internet, des nouvelles technologies, du clonage. Il n'avait aucune confiance en l'avenir. Mais peut-être avait-il raison sur ce dernier point.

 

12 juin / Diane

 

Il pleut averse aujourd'hui. Le ciel est noir et les nuages sont au plus bas. J'ai cru voir passer quelqu'un dans la rue mais je n'en suis pas sûre. Tout est flou par la fenêtre.

Je suis tapie dans la chambre de la gamine. J'ai pris les somnifères de la femme et le whisky du père, je crois que je vais essayer d'oublier cette journée de merde et la journée de demain, au passage. Je me sens déjà toute molle. J'ai l'impression qu'il pleut a l'intérieur de ma tête.

 

Il y a quelqu'un au rez-de-chaussée. Je peux l'entendre fouiller dans les placards.

 

Il n'y a plus de bruit, je crois qu'il est parti.

 

 

13 juin / Diana

 

Il y a quelqu'un en bas. Je sais que c'est un homme parce qu'il parle tout haut. Au moins, au son de sa voix, je sais que ce n'est pas le taré de Jackson. Je suis bloquée au premier étage, dans la chambre de la petite fille, je n'ose pas descendre.

Je ne sais pas à qui j'ai à faire et je ne veux pas me faire violer ou finir en petits morceaux dans un sac. Je préfère attendre qu'il s'en aille. C'est certain que ce ne sont pas les secours, de toute façon.

Il parle de plantes, je crois. J'ai du mal à l'entendre distinctement mais il me semble qu'il jure à propos des foutus arbres dehors et des végétaux qui meurent tous. Je ne sais pas à quel point il a déraillé et je n'ai aucune envie de le savoir.

Il n'y a ni à boire ni à manger là- haut. S'il reste trop longtemps, je vais être obligée de descendre.

J'ai rêvé de Mona, l'autre nuit. Nous allions à la piscine ensemble, comme tous les mercredis après l'école. On rigolait comme deux copines sur le chemin mais on n'arrêtait pas de croiser des petits groupes d'hommes qui portaient des banderoles et des armes de fortune, morceaux de bois, battes de baseball, etc.. Ils avaient l'air en colère contre quelque chose que nous n'arrivions pas à comprendre. Il y en avait un peu partout dans les rues mais il n'y avait pas vraiment de mouvement organisé, plutôt des petits ilots de colère incompréhensibles. On n'y a pas fait attention.

Arrivées à la piscine, on l'a trouvée complètement vide. Pas d'employés, pas d'enfants. Rien. On est montés se changer dans les vestiaires des filles. Personne, pas un bruit. Alors, on a fait vite et quand on est arrivées au bord de l'eau, le rêve s'est transformé en cauchemar pour de bon. Il n'y avait plus d'eau dans le bassin sinon une moisissure horrible et une crasse qui semblait être là depuis des dizaines d'années. Les gradins étaient en ruines, le bois pourri, les vitres noires et brisées. Tout sentait la mort et l'abandon. Des corbeaux avaient élu domicile dans un coin du dôme en verre qui tombait en morceaux. Ils s'envolèrent en nous hurlant dessus, furieux qu'on les dérange dans leur antre cramoisie.

Puis on a entendu une énorme explosion au dehors, comme si le monde implosait littéralement. On est tombées au sol. Mona m'a regardé et m'a dit: « C'est fini. »

Alors, elle a disparu du rêve, sans trop que je sache comment. Je me suis retrouvée seule dans la rue, ridicule en maillot de bain. Il n'y avait plus personne ici non plus, tout le monde avait disparu, plus de groupes de gens en colère, plus de voitures, plus d'oiseaux dans le ciel, plus un brin d'herbe dans les parterres, les arbres s'étaient transformés en bougies violacées qui embrasaient le ciel de leur couleur maladive et de leurs branches atrophiées.

Je suis rentrée chez moi en pleurant et je me suis réveillée ici, dans le lit de la petite fille qui gisait morte dans le jardin et pour la première fois de ma vie, le réveil d'un cauchemar n'a pas été un soulagement.

J'hésite à m'enfuir de la maison pour tenter ma chance sur la route. La ville la plus proche doit être à une dizaine de kilomètres, il doit bien y avoir des gens en vie qui pourront me sauver, des policiers, des équipes de secours. Si je reste ici, je vais devenir folle à lier. Si le type en bas ne me trouve pas avant.

J'ai faim. Je ne l'entends plus mais je suis sûre qu'il est encore en bas.

Je vais essayer de dormir.

 

Tout à l'heure, l'homme est monté à l'étage. Je l'ai entendu se diriger vers la salle de bains. Il a fouillé dans tous les placards comme un enragé. Dieu seul sait ce qu'il cherchait.

Puis j'ai entendu des bruits de succion bizarres et il s'est mis à gémir de douleur. Pas très fort d'abord puis de plus en plus fort. Je ne sais pas ce qu'il fabriquait là dedans. Il doit être blessé. J'ai vu son ombre passer sous la porte de la chambre. Je me suis cachée sous le lit de la petite mais il n'est pas entré. Il est redescendu en pleurant faiblement.

Peut-être devrais-je descendre et voir s'il a besoin d'aide.

 

J'attends demain. La faim me fera descendre de toute manière.

 

 

 

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